(Extraits du discours prononcé le 6 juin 2014, lors du colloque donné pour les 10 ans de la création de GEMME, à la Cour de cassation. Publié aux Éditions l’Harmattan in « La médiation, un chemin de paix pour la Justice en Europe – GEMME, 10 ans déjà… »)
La chambre sociale de la cour d’appel de Grenoble a fait une expérience de médiation entre 1996 et 2005. Ceux qui jugent les conflits du travail font un constat : les responsables hiérarchiques et les subordonnés sont souvent en conflit car ils ne savent pas s’écouter. En 1998, on venait de découvrir la notion de « harcèlement moral » ; les salariés y recourraient facilement. Si certains cas étaient prouvés, la plupart ne reposaient que sur l’interprétation que la « victime » avait prêtée aux faits.
Le responsable est celui qui répond. Mais pour répondre, il faut d’abord écouter. Le subordonné doit obéir à l’ordre reçu. Obéir, vient du mot latin « oboedire » qui veut dire « prêter l’oreille », « écouter ». Responsables et subordonnés doivent donc savoir s’écouter ce qu’ils ne savent pas toujours faire. Un individu qui ne communique pas s’isole et devient agressif. C’est par le regard bienveillant de l’autre que l’on se construit. D’où la nécessité de rétablir la communication entre les individus. C’est vers cela que tend la médiation. Et il y a beaucoup à faire car, avec l’avènement de l’électronique, nos sociétés communiquent de plus en plus mal.
De nombreux juges ont remarqué que les litiges sont souvent mieux réglés, et généralement de manière définitive par l’accord des parties. L’idée d’une justice assurée par le contrat pour trouver une solution équilibrée fait alors son chemin.
C’est pourquoi, lorsque la loi française du 6 février 1995 sur la médiation et son décret d’application du 22 juillet 1996 ont paru, la chambre sociale de la cour d’appel de Grenoble s’y est engouffrée.
Malgré des résultats très encourageants (1000 médiations ordonnées en quelques années avec un taux d’accord de 80 % et 8 % du contentieux entièrement réglé par ce mode amiable de règlement des conflits), la chambre sociale de Grenoble s’est heurtée aux habitudes du monde judiciaire et à des professionnels interpellés par une réforme visant à modifier le système auquel ils étaient habitués et sur lequel ils s’étaient endormis. Rien de tel que l’habitude pour retarder le progrès ! Pour reprendre la phrase de Charles Péguy : « un juge habitué est un juge mort pour la justice ! »
Car, gérer les conflits pour leur donner une solution durable et harmonieuse bouleverse les professions qui vivent du conflit des autres et qui craignent une remise en question de leur statut social : un grand nombre de juges, avocats, greffiers, a accueilli avec froideur et parfois avec animosité la loi nouvelle et son application.
Pour se tourner vers une autre forme de justice, une justice plus humaine qui écoute, qui a le souci de l’équité et de l’efficacité, il faut changer les mentalités : le glaive de la Justice, mais aussi la balance.