Béatrice Blohorn-Brenneur
Je suis très honoré d’avoir été invité à écrire sur Steve Goldberg, que j’admirais beaucoup et qui a eu un impact majeur sur ma vie professionnelle et mon engagement en faveur de l’introduction de la médiation.
Steve était l’un des pionniers de la médiation aux États-Unis. Je l’ai rencontré avant l’an 2000, il y a un quart de siècle, lors d’un colloque international sur la médiation à Porto, au Portugal, auquel j’avais été invité. À l’époque, j’étais président de la chambre sociale de la cour d’appel de Grenoble, qui juge les conflits individuels du travail entre employeurs et salariés. On m’a demandé de présenter la pratique de la médiation que j’avais introduite. En France, je suis considéré comme un pionnier de l’institutionnalisation de la médiation (avec 1 000 médiations ordonnées et 80 % de réussite à l’accord). Mon modèle américain était Steve Goldberg. Sa carrière a été marquée par des contributions significatives dans le domaine de la résolution des conflits. Et le voilà à Porto ! Son enthousiasme et sa passion pour la médiation étaient contagieux. Une profonde amitié est née entre nous dès ce jour. J’ai eu le privilège d’être invitée avec mon mari chez lui, dans le village français de Vénasque, en Provence. Ce fut un lieu de réflexion et d’échange enrichissant. J’ai pu discuter avec les amis de Steve et me suis rendu compte à quel point il était proche des Vénasquiens et apprécié. Il était membre de l’association « Les Amis de Vénasque ». Tous les habitants du village le connaissaient et appréciaient son extrême gentillesse. Au-delà de notre collaboration professionnelle, j’appréciais Steve pour son écoute, son sourire et sa curiosité. Son intelligence vive et sa capacité à comprendre et apaiser les tensions humaines étaient impressionnantes.
J’ai ensuite pu accueillir Steve chez moi, près de Grenoble. Il m’a fait l’honneur d’assister à l’une de mes « audiences de proposition de médiation », où le juge, après avoir trié les dossiers, propose aux parties d’entamer une médiation. Il m’a encouragé à poursuivre ma pratique de la médiation. Mais il comprenait qu’« à Grenoble, sans Béatrice, il n’y aurait pas de médiation ! » Là encore, il était visionnaire, car lorsque j’ai quitté mon poste pour la Cour d’appel de Lyon, la médiation s’est effondrée à Grenoble.
Steve m’a aidé à comprendre que la médiation, comme mode de résolution des conflits, a sa place aux côtés du contentieux. La médiation nous amène à repenser le rôle du juge. Nous pensions que le but du jugement était de régler les litiges et d’établir le droit. Avec la résolution amiable des conflits, nous avons compris que le but suprême de l’institution judiciaire est de contribuer à la paix sociale. Comment y parvenir ? En réglant les litiges conformément à la règle de droit, ou en cherchant à les concilier dans le meilleur intérêt des parties. Autrement dit, le droit et le règlement amiable ne sont que des moyens, des outils, pour rétablir la paix sociale. L’un n’est pas supérieur à l’autre. Les deux outils à la disposition des juges sont équivalents. Steve l’a compris. Pour lui, le droit instaure un pouvoir qui peut parfois paraître injuste. Il ne produit pas nécessairement de consensus. Il prônait une gestion des conflits fondée sur une plus grande interactivité, davantage de communication et d’échanges, et une négociation horizontale entre adultes responsables. Il s’opposait à une approche purement verticale de la gestion des conflits. Le recours exclusif au droit et à l’équilibre des pouvoirs est parfois insuffisant. Et pourtant, c’est l’approche que nous avons adoptée depuis longtemps : entre les individus, au sein des entreprises, entre les administrations et les citoyens, et entre les États.
Au cours de sa carrière, Steve a écrit plusieurs ouvrages et articles sur la médiation. Visionnaire, il a compris que les relations commerciales sont aujourd’hui confrontées à des changements économiques et sociaux si rapides et profonds qu’ils obligent les acteurs de la société à concevoir de nouvelles procédures de gestion des conflits, fondées sur l’engagement des parties à parvenir à un accord rapide et moins coûteux. Steve a repensé l’histoire des conflits et leurs modes de résolution.
Mon mari, Michel Brenneur, un autre admirateur de Steve, a traduit en français un livre que Steve a écrit avec sa femme, Jeanne Brett, et William Ury : Gérer les conflits autrement . Ce livre nous apprend qu’il existe trois façons de résoudre un conflit : concilier les intérêts sous- jacents des parties, déterminer qui a raison et prouver qui a le plus de pouvoir.
Parmi les autres publications de Steve, on trouve « Comment fonctionne la médiation : théorie, recherche et pratique » , qu’il a co-écrit avec Jeanne et moi. Cet ouvrage, devenu une référence pour les praticiens et les chercheurs en médiation, propose des perspectives innovantes et des solutions concrètes aux défis de la résolution des conflits. Collaborer avec lui sur ce livre a été une expérience inoubliable, marquée par une véritable amitié et un respect mutuel.
Steve a également réalisé un film, « Prosando ». Il y joue le rôle de médiateur dans une affaire commerciale où un fabricant d’ordinateurs, Prosando, a résilié la concession exclusive qu’il avait accordée à un revendeur en Amérique du Sud. Mais Prosando n’a pas respecté le délai de préavis contractuel et a créé un autre ordinateur concurrent de celui que le revendeur était censé vendre. Il était donc en faute. En revanche, le revendeur devait développer un réseau dans les pays d’Amérique du Sud et n’avait pas payé les 80 ordinateurs qu’il avait achetés. Lui aussi était en faute ! La solution juridique aurait pu être un partage des responsabilités, ce qui n’aurait satisfait personne. La solution trouvée par Steve reposait sur des intérêts. Le revendeur avait développé un réseau important dans deux pays d’Amérique du Sud. Il était donc dans l’intérêt des deux parties de lui accorder l’exclusivité de la vente des deux types d’ordinateurs dans ces deux pays uniquement. Le fabricant était libre de confier la commercialisation des ordinateurs dans d’autres pays à d’autres revendeurs. C’était une situation gagnant-gagnant. Cette médiation a permis d’éviter un procès long et coûteux. Ce film illustre la pensée de Steve : « Notre principe de base est qu’en général, il est moins coûteux et plus gratifiant de se concentrer sur les intérêts que sur les droits, qui, à leur tour, coûtent moins cher et sont plus gratifiants que de se concentrer sur le pouvoir. » Steve voulait encourager les parties à résoudre leurs conflits en conciliant leurs intérêts chaque fois que possible et, lorsque cela n’était pas possible, à utiliser des méthodes peu coûteuses pour déterminer les droits et le pouvoir.
L’influence de Steve sur la médiation ne se limite pas à ses écrits. Son approche humaniste, sa générosité et son engagement en faveur de l’écoute active ont inspiré des générations de médiateurs. Son héritage perdure à travers les nombreux professionnels qu’il a formés et les nombreuses personnes qu’il a approchées.
Steve nous a quittés. Le monde de la médiation est en deuil, mais son travail continue d’influencer la pratique de la médiation aujourd’hui. Il est toujours parmi nous.© 2025 Présidents et membres du Harvard College. Publié sous licence Creative Commons Attribution 4.0 International (CC BY 4.0).