Le cadre
1° — La Loi
Dans les livres de l’Exode et du Deutéronome, la Bible nous enseigne que le premier médiateur entre Dieu et les hommes, c’est Moïse à qui Dieu a remis les Tables de la loi sur lesquelles il a gravé, dans la pierre, le Décalogue. Les dix commandements sont des recommandations de Dieu pour permettre aux humains de construire une relation harmonieuse, tout en les laissant libres de leurs actes.
Étymologiquement, le mot « commandement » vient du latin Cum Manum Dare, donner la main. Dieu conduit les hommes par la main pour leur donner la direction à suivre.
Les relations humaines découlant de la Bible s’inscrivent donc dans un cadre légal, dans une communication verticale, qu’en analyse transactionnelle on appelle « communication parent – enfant », qui n’est pas sans évoquer notre institution judiciaire où le juge, brandissant l’épée et appliquant la loi, donne la norme à suivre à nos concitoyens.
2° – L’homme créateur de son destin
Le second médiateur dans la Bible, c’est Jésus. Il n’est pas venu pour abolir la loi, mais pour l’accomplir (Matthieu 5, 17-18). « La Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ » (Jean 1, 17).
Les pharisiens sont une élite spirituelle, très attachée à la pratique des commandements divins. Jésus est proche d’eux quant à l’enseignement, mais il critique sévèrement leur comportement légaliste, qui les amène à s’attacher parfois à des choses secondaires, au détriment de l’esprit de la Loi dans son ensemble :
« Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites… vous avez négligé ce qui est le plus important dans la Loi : la justice, la miséricorde et la fidélité. Voilà ce qu’il fallait pratiquer sans négliger le reste » (Matthieu 23, 23).
Jésus est très attaché à l’équité et à l’esprit de la loi, plus qu’au texte même. Il va permettre à l’homme de devenir co-créateur de son propre destin dans une relation d’égalité. Il propose la communication horizontale, d’adulte à adulte, que l’on retrouve en médiation.
Le premier miracle est celui des noces de Cana. Il est relaté dans Jean, 2, 2-11
- « Le troisième jour, il y eut un mariage à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là.
- Jésus aussi avait été invité au mariage avec ses disciples.
- Or, on manqua de vin. La mère de Jésus lui dit : “Ils n’ont pas de vin.”
- Jésus lui répond : “Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue.”
- Sa mère dit à ceux qui servaient : “Tout ce qu’il vous dira, faites-le.”
- Or, il y avait là six jarres de pierre pour les purifications rituelles des Juifs ; chacune contenait deux à trois mesures (c’est-à-dire environ cent litres).
- Jésus dit à ceux qui servaient : “Remplissez d’eau les jarres.” Et ils les remplirent jusqu’au bord.
- Il leur dit : “Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas.” Ils lui en portèrent.
- Et celui-ci goûta l’eau changée en vin. Il ne savait pas d’où venait ce vin, mais ceux qui servaient le savaient bien, eux qui avaient puisé l’eau. Alors le maître du repas appelle le marié
- et lui dit : “Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant.”
- Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui. »
Avec le premier miracle de Jésus, nous passons de l’Ancien Testament au Nouveau Testament. L’eau, don de Dieu et symbole de l’Ancien Testament, se change en vin, fruit de la vigne « et du travail de l’homme », symbole du Nouveau Testament. L’homme est désormais associé à la création divine.
Vous noterez qu’il y a 6 jarres.
Le chiffre 7 est le chiffre de l’Homme et celui de Jésus. Il est composé du 4, qui représente la matière et du 3, qui est l’esprit. Le 7, c’est l’incarnation de l’esprit dans la matière : Dieu en chacun de nous. Or, là il y a 6 jarres et Jésus dit à sa mère « mon heure n’est pas encore venue ». On n’est pas dans le 7.
Il y a de nombreux points de convergence entre la Bible et la médiation. Dans la Bible, Dieu crée le monde en six jours et le septième, il se repose. En fait, il laisse le soin à l’homme de poursuivre son œuvre. Il ne se met pas à sa place, il lui laisse la liberté de construire son avenir et de parachever sa création. Il y a une co-construction entre Dieu et les hommes. C’est comme en médiation.
Tout médiateur commence sa présentation en disant aux médiés : c’est vous qui allez créer votre accord. On ne va pas vous le souffler. On vous donne le cadre, on vous donne les moyens, et vous allez trouver votre accord. Et les médiés vont cheminer avec le médiateur qui va les guider en les prenant « par la main ».
3° — Les qualités du médiateur
Quelles sont les qualités du médiateur ?
La crèche nous donne un nouveau symbole. La tradition chrétienne fait naître Jésus entre un âne et un bœuf. Pourquoi, alors qu’il n’y a pas de bœufs en Palestine ? Il y a des chameaux, il y a des chèvres, mais il n’y a pas de bœufs.
C’est Isaïe qui en parle et il nous dit : « Le bœuf connaît son maître » : il connaît la personne de son maître, c’est le verbe être. « L’âne connaît la maison de son maître » : il connaît donc l’avoir.
Jésus est né entre l’âne et le bœuf pour permettre à tout homme de réconcilier en lui l’être et l’avoir.
Mais il y a une deuxième symbolique dans l’âne et le bœuf. Quelle est la caractéristique d’un âne ? Il a des oreilles, des grandes oreilles. Qu’est-ce qu’on fait avec des oreilles ? On écoute. Tiens, tiens, l’écoute active, vous n’en avez pas entendu parler en médiation ? Le sage sait écouter. Donc cet âne va souffler sur Jésus la sagesse.
Et le bœuf, qu’est-ce qui va souffler à Jésus ? Les cornes du bœuf sont comme des antennes qui le relient au Ciel. Le bœuf symbolise la connaissance. C’est-à-dire que ces deux animaux, l’âne et le bœuf vont souffler à ce nouveau-né les grandes qualités du médiateur : la sagesse et la connaissance. Et c’est comme cela qu’il va pouvoir nous prendre par la main et nous aider à cheminer.
II. – Accepter de cheminer.
Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance ». (Gn 1, 26). Dieu a créé l’homme à son image pour qu’il lui ressemble. L’homme doit donc se mettre en chemin pour tendre à la ressemblance de Dieu.
Pour cela, il doit d’abord abandonner son état d’esclave pour celui d’homme libre. Il le fait, en passant la Mer Rouge. Les Hébreux étaient des esclaves en Égypte. Selon Annick de Souzenelle, dans son livre « L‘Égypte intérieure ou les dix plaies de l’âme », « l’Égypte, Mitsraïm en hébreu, est essentiellement une matrice d’eau (Maïm – les eaux) » (Ed Albin Michel page 31).
Lors du passage de la mer Rouge, les eaux qui se retirent font penser à une naissance. Ce peuple esclave va accéder à la liberté. C’est la Pâque. Mais il ne devient pas libre du jour au lendemain. Il commence par errer quarante ans dans le désert.
C’est tout un cheminement que nous devons faire pour gagner la liberté. Et c’est là qu’Ève a péché. Le livre de la Genèse nous enseigne (Gn 2, 16-17) qu’au paradis terrestre, il y a l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Qui a la connaissance sinon Dieu ?
« Le serpent dit à la femme… Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux qui connaissent le bien et le mal » (Gn 3, 5-6)
C’est ainsi qu’Ève « prend » la pomme, le fruit de la connaissance, qu’elle pense obtenir en la mangeant. Elle a pris un raccourci. Elle a voulu acquérir la connaissance de l’extérieur pour devenir aussi puissante que Dieu. Elle a voulu « avoir » la connaissance, alors qu’elle aurait dû « devenir » connaissance. On est encore dans l’être et l’avoir. Si Ève a eu la pomme, elle n’est pas devenue connaissance. Elle n’a pas fait son chemin. D’où, péché, qui veut dire se tromper de chemin.
La Bible ne cesse de nous parler du chemin que nous avons à faire. Que dit Jésus au paralytique qu’il venait de guérir ? : « lève-toi et marche ». On ne peut pas marcher si on ne s’est pas d’abord levé.
Pilate a demandé au peuple en colère de choisir qui il allait libérer : Jésus ou Barabbas ? Ce dernier est un grand criminel. Son nom est évocateur : Bar est l’enfant qui a tout son chemin à faire, le bébé et Abba, le Père. C’est ainsi que le bébé, pris en la personne du pire des criminels a été libéré en échange de la mort de Jésus. Après Barabbas, nous tous pouvons retrouver la liberté et nous mettre en chemin.
III. – L’altérité
L’altérité occupe une grande place dans la Bible, au moins dans l’Évangile : « Aime ton prochain comme toi-même. »
C’est-à-dire qu’il nous est demandé de mettre notre prochain sur un pied d’égalité avec nous-mêmes. On ne l’aime pas plus ou moins que soi-même : on doit l’aimer comme soi-même. L’enseignement de l’Évangile est basé sur le respect de l’autre avec qui nous devons cheminer, car son « point de vue » est aussi important que la vue que j’ai du point où je me situe.
Nous avons une illustration de cette solidarité avec la parabole du bon Samaritain. Les Évangiles nous disent (Luc 10, 25-37) :
« Un homme tomba entre les mains de brigands qui le dépouillèrent, le rouèrent de coups et s’en allèrent en le laissant à moitié mort… Un samaritain arriva près de lui et fut rempli de compassion.. Il s’approcha et banda ses plaies en y versant de l’huile et du vin ; puis il le mit sur sa propre monture, le conduisit dans une auberge et prit soin de lui… ».
« Un homme », cela veut dire que c’est n’importe qui. Et l’Évangile continue et personnalise celui qui va le prendre en charge : c’est un Samaritain, un étranger rejeté. Mais lui, au lieu de rejeter l’autre à son tour, il va s’arrêter et le secourir dans un acte de solidarité. Il va le prendre, l’amener dans une auberge. Il est tourné vers les besoins de l’autre.
Tous les médiateurs ont connu en médiation des êtres blessés, que le conflit a laissés parfois à demi morts. Et en faisant cheminer les adversaires d’hier, le médiateur va amener chacun à se mettre à l’écoute des besoins profonds de l’autre et accepter qu’il puisse avoir un point de vue différent du sien. L’adversaire d’hier devient le partenaire d’aujourd’hui à qui on tend la main.
IV. – La communication
non violente (CNV)
1° — Les Évangiles nous enseignent la communication non violente (CNV) : « Tu ne jugeras pas »
En communication non violente, on ne juge pas, on se contente de faire préciser les faits. On oublie la faute, qui a tort et qui a raison. Si je suis en colère, ce n’est plus de ta faute, mais c’est parce qu’en moi, un besoin essentiel n’est pas satisfait. Le médiateur va aider à nommer ce besoin.
Dans le livre de la Genèse, on lit « Dieu créa l’homme à son image pour qu’il lui ressemble. » L’homme a été créé pour tendre à la ressemblance de Dieu. J’en reviens à Ève, c’est là où elle a péché, parce qu’elle n’a pas tendu à la ressemblance, elle a voulu être Dieu.
Mais on lit aussi « Dieu donna à l’homme des pouvoirs sur la terre, y compris celui de nommer « les animaux ». Qui sont les animaux que l’homme peut nommer ? Est-ce le chien, le chat, l’éléphant, les moustiques, etc. ? Ou ne serait-ce pas plutôt nos animaux intérieurs, nos besoins essentiels,
Quand on les a nommés, on a un pouvoir sur eux. Quand un ami passe dans la rue et que je l’interpelle : Daniel ! Il se retourne. J’ai un pouvoir sur lui : je connais ton nom.
Quand je mets un mot sur mes maux, que je connais mon animal intérieur, que je sais que la peur me paralyse, que j’ai besoin de me sentir exister, aimé, que j’ai un besoin d’appartenance, et les autres besoins essentiels énoncés dans la pyramide de Maslow, j’ai un pouvoir sur moi : je peux changer. Et c’est là la supériorité de l’homme sur l’animal. Mon chien ne sait pas que, dans telle circonstance, il va se mettre en colère. Il n’a aucun pouvoir sur lui. Mais moi, grâce à la communication non violente, grâce à monsieur Maslow, grâce à la programmation neuro-linguistique (PNL), je peux nommer mes besoins intérieurs, ce qui va me permettre de cheminer.
Et c’est ce que l’on voit tout au long de la médiation où on connaît son besoin, mais aussi celui de l’autre dont on va respecter le point de vue. Le respect de l’autre est une valeur chrétienne.
2° — La magie du mot
Le mot inscrit sur le paperboard est magique. Je ne pourrais pas faire de médiations sans cet outil. Il permet de graver le mot, le message. C’est essentiel.
Dans le livre de la Genèse, il est écrit « Dieu dit : que la lumière soit. Et la lumière fut. »
Dieu prononce les mots et les choses se réalisent. Sur de simples mots, ce qui n’existait pas prend forme.
Dans le Prologue de l’Évangile selon Saint Jean il est écrit « Au commencement était le verbe » (Jn1, 1).. « Et le verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous » (v.14).
Au commencement, il y a un message.
Et bien, c’est comme cela qu’on chemine vers un accord : en exprimant des mots et des messages, les médiés arrivent à écrire leur accord.
3° — La pensée créatrice
Dans nos prières chrétiennes, nous demandons pardon pour avoir péché « par pensée, par parole, par action et par omission ».
Il n’y a pas si longtemps, je comprenais que si je pèche par parole en insultant l’autre, c’est un péché. Par action : si je le gifle, je veux bien croire que c’est un péché. Mais par pensée ? En quoi mes pensées secrètes peuvent-elles le gêner ?
Grâce à l’apport de la PNL que l’on enseigne en médiation, on sait maintenant que nos pensées ont une influence sur nous-mêmes et sur l’autre : la pensée est créatrice, qu’elle soit positive ou négative. Et si la prière, qui est une pensée positive, a une influence sur l’autre, les mauvaises pensées peuvent aussi engendrer le mal.
V. – La confiance
Pour qu’il y ait un accord, il faut la confiance : confiance dans le médiateur, dans la parole de l’autre. Et si on n’a pas confiance dans le but final et que l’on pense l’accord impossible, on ne le trouvera pas.
Marc 11 : 24 :
« Tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous l’avez reçu et vous le verrez s’accomplir »
Le médiateur amène les parties à cheminer dans la confiance.
Cette confiance est illustrée par Saint Pierre qui marche sur les eaux (Mtt 14,22-33)
En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent bouleversés. Ils dirent : « C’est un fantôme. » Pris de peur, ils se mirent à crier. Mais, aussitôt, Jésus leur parla : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur ! » Pierre prit alors la parole : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux. »
Jésus lui dit : « Viens ! » Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus. Mais, voyant la force du vent, il eut peur et, comme il commençait à enfoncer, il cria : « Seigneur, sauve-moi ! » Aussitôt, Jésus étendit la main, le saisit et lui dit : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? »
Il y a une grande tempête. C’est la panique à bord de la barque (c’est à dire en nous). Et tout d’un coup qu’est-ce qui vient ? : Jésus qui arrive vers eux et qui marche sur les eaux. Alors, Pierre, dans sa candeur, lui demande de dire un mot pour qu’il le rejoigne et Jésus lui dit seulement « viens ». Cela ne pouvait pas être plus bref. A Pierre, cela lui suffit. Il a confiance. Il enjambe la barque et il marche sur l’eau. Et l’évangéliste nous dit : il voit la force du vent. On sent le vent, mais on ne le voit pas. L’emploi du mot « voir » est important. Cela veut dire que Pierre détourne son regard de son but qui est de venir vers Jésus. Il tourne la tête, regarde à côté et il voit la mer démontée. Il a peur, il n’a plus confiance et il coule.
Que fait-on, nous, dans la vie de tous les jours ? Il y a les tourments, la presse, les tourbillons, les ennuis.. Et on a l’impression qu’on n’y arrivera pas et qu’on va couler.
C’est pourquoi le médiateur doit continuellement redonner confiance aux personnes : « Vous verrez, on y arrivera… Vous voyez, on a avancé.. », et ça marche. J’essaye de faire en sorte qu’ils ne se détournent pas du but qui est de rétablir le dialogue, la confiance, pour aboutir à l’accord.
Toujours positiver : « Ah, il m’a traité de menteur, donc c’est fini, j’arrête la médiation ».
Et le médiateur intervient, reformule : « Je vois que vous êtes tous les deux très attachés à la notion de vérité, donc, on va y arriver. » Et on repart.
VI. – La réconciliation et le pardon
On ne peut pas cheminer avec celui contre qui on est fâché. Ce qui renvoie à cette phrase de l’Évangile : « Si tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande et va d’abord te réconcilier avec ton frère. » (Mtt 5, 23)
1° Une médiation menée à la lumière des Évangiles
Hier, on parlait de la médiation interculturelle : en voici une application. J’étais la médiatrice. Si je n’avais pas été de culture chrétienne, cette médiation n’aurait pas abouti.
Le juge m’avait téléphoné pour m’avertir qu’il y avait du meurtre dans l’air.
Effectivement, dès la première réunion, tout le monde hurlait. Il y avait quatre frères et sœurs et avec les conjoints, cela faisait huit personnes dans la salle. Il y avait surtout deux femmes, deux belles-sœurs, qui s’invectivaient. J’étais avec mon mari, Michel, en co-médiation. Nous avons dû interrompre la réunion, et pendant que Michel continuait avec les autres, j’ai pris à part les deux femmes et découvert les dessous de l’affaire : l’une était allée conter fleurette à son beau-frère, c’est-à-dire le mari de l’autre. C’était même plus que fleurette. Elle était devenue « une voleuse de mari ». C’était la partie invisible de l’iceberg.
À partir de là, la famille se battait pour 7 cm de mur. Ils avaient acheté un terrain à quatre. Comme ils étaient maçons, chacun avait construit sa maison. Et voilà qu’un mur (celui du mari cocu) dépassait de 7 cm sur le terrain voisin, celui du beau-frère coupable ! On était au niveau de la cour d’appel pour 7 cm de mur, et en procès depuis 10 ans ! Vous réalisez ce que c’est que 7 cm ?
Pour régler ce problème, il fallait passer par le pardon. C’est là où j’arrive avec ma culture chrétienne : j’entre dans la maison de la première, la femme adultère et suis accueillie par la Vierge de Fatima et, dans le salon, par le Christ.
On échange :
- La femme : je suis une pécheresse. Je vais à la messe tous les jours et je ne me pardonnerai jamais ce que j’ai fait.
- La médiatrice : Qu’est-ce que Jésus a dit à la femme adultère ?
- La femme : Ah oui, il a dit « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va et ne pèche plus ».
- La médiatrice : Il faut que vous vous pardonniez parce que Jésus ne vous condamne pas. C’est vous qui vous condamnez. On est tous pécheurs. Et, Jésus a dit « je ne suis pas venu pour les bien-portants, je suis venu pour les pécheurs ». Lc (5, 32)
- La femme : Je vais à la messe tous les jours.
- La médiatrice : Cela ne sert à rien si vous ne vous êtes pas pardonné et si vous n’avez pas demandé pardon à l’autre.
- La femme : Lui demander pardon, c’est impossible, elle n’acceptera pas.
- La médiatrice : si vous ne lui demandez pas, elle ne peut pas accepter, il faut d’abord que vous lui demandiez pardon.
- La femme : Je vous ai dit qu’elle n’acceptera pas
- La médiatrice : Et si elle acceptait, vous pourriez lui demander pardon ?
- La femme : Oui, si elle acceptait de me pardonner.
- La médiatrice : Alors, je vais lui parler.
- La femme : Bon, je veux bien. Si elle vient chez moi, je lui demanderai pardon.
- La médiatrice : C’est très bien.
Alors, me voici chez l’autre femme.
- La femme : C’est une garce, c’est épouvantable. Je ne lui pardonnerai jamais. Mais je prie pour elle, pour qu’elle change. Je vais à la messe tous les jours, et je communie tous les jours.
- La médiatrice : Cela ne sert à rien si vous ne lui pardonnez pas. Rappelez-vous ce que Jésus a dit. (Mtt 5, 23) : « si tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, va d’abord te réconcilier avec ton frère, puis reviens et alors présente ton offrande ».
- La femme : ce qu’elle a fait est impardonnable.
- La médiatrice : Tant que vous n’aurez pas pardonné, vous serez liée l’une à l’autre. C’est encore dans l’Évangile (Mtt 18 : 18) : « Tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel ». C’est-à-dire que si vous acceptez de lui pardonner, tout est délié. Mais si vous ne lui pardonnez pas, vous restez liées.
Connaissez-vous l’étymologie du mot « condamner » en latin ? C’est cum damnare, se damner avec. Si vous la jugez et que vous la condamnez, vous vous damnez avec elle. Mais vous pouvez redevenir libre, en pardonnant. Est-ce que vous seriez d’accord ?
- La femme : Non, parce qu’elle ne voudra jamais me demander pardon. Elle est bien trop fière.
- La médiatrice : mais si elle vous demande pardon, est-ce que vous accepteriez de lui donner ce pardon ?
- La femme : Oui, si elle me demande pardon, j’accepterais de lui pardonner, mais elle ne le demandera pas
- La médiatrice : Venez chez elle. Elle va vous demander pardon.
Elles sont tombées dans les bras l’une de l’autre. C’était bouleversant. Elles pleuraient toutes les deux. Le pardon demandé fut accordé. Elles se sont embrassées, scellant ainsi leur réconciliation. Elles étaient rayonnantes. La médiation était bien plus qu’un accord.
Pour les maris, ce fut autre chose. On n’est pas arrivé au même stade, mais les femmes ont décidé d’œuvrer pour qu’ils se reparlent et se pardonnent.
2° Les cinq étapes du pardon
Quand on récite l’acte de contrition, on comprend qu’il y a cinq étapes pour arriver au pardon.
« Mon Dieu, j’ai un très grand regret de t’avoir offensé parce que tu es infiniment bon… et je prends la ferme résolution de ne plus t’offenser et de faire pénitence ».
Voici les cinq étapes :
- D’abord, reconnaître les faits. Je reconnais que je t’ai offensé ;
- Reconnaître sa culpabilité : je regrette de t’avoir offensé.
- Je veux réparer.
- Je demande pardon.
- Le pardon est accordé. C’est la réconciliation totale.
Voici un cas de médiation où le médiateur a amené les parties à la réconciliation totale.
Un plombier qui travaillait depuis 27 ans dans une entreprise a reçu un ballon d’eau très lourd, plein de calcaire, sur l’épaule que sept opérations n’ont pas permis de récupérer. Impossibilité de reclassement : il s’en suivit un licenciement pour inaptitude.
Conséquences : plus de travail, divorce, expulsion parce qu’il ne pouvait plus payer les loyers. C’est un neveu qui l’a recueilli. Il lui a installé un matelas dans son garage pour qu’il ne soit pas complètement à la rue.
J’étais juge dans cette affaire et j’ai ordonné une médiation. La partie invisible de l’iceberg m’a été révélée dans un colloque où le médiateur l’a citée en exemple.
En médiation, l’employeur était très froid :
- « J’ai été obligé de te licencier parce que j’ai une entreprise à faire fonctionner et que je ne suis pas l’assistance publique »
Le plombier ne dit rien. Le médiateur essaye de le faire parler et finit par utiliser le silence comme moyen de communication. Effectivement, après de longues minutes de silence complet, le plombier se lève, enlève sa veste, la met sur sa chaise, et montre son épaule à son employeur, en lui disant :
- « Voici les cicatrices qui font de moi l’infirme que vous avez jeté à la misère. »
C’est fort ! Il y a tout dans cette phrase : je suis un sous-homme ; vous m’avez jeté comme un mouchoir usagé à la poubelle.
Il se rassoit. Et là, coup de théâtre : l’employeur prend sa tête dans ses mains, fond en larmes, et, à travers ses sanglots, lui dit :
- « Pardon, pardon, je n’avais pas réalisé. »
Voyant les larmes de son employeur qui le réhabilitaient comme être humain, le salarié se lève à nouveau, lui tend la main et lui dit :
- « Cela ne répare rien, mais cela me suffit. »
Même s’il n’était pas réparé, le salarié a vu les larmes : il n’était plus considéré comme le kleenex usagé qu’on jette à la poubelle, mais comme un être humain. Sa dignité était restaurée et cela lui suffisait.
Quelques étapes pour aboutir à la réconciliation étaient franchies, mais pas toutes.
- La 1re étape du pardon : reconnaître les faits
Ici, on peut dire que l’employeur a reconnu les faits. - La 2e étape du pardon : reconnaître sa responsabilité.
Ici encore, l’étape est franchie : il reconnaît sa responsabilité - 3e étape du pardon : la réparation.
Nous n’avons pas la réparation : il manque cette étape. - 4e étape : demander pardon. L’employeur a demandé pardon :« Pardon, pardon, je n’avais pas réalisé » ;
- 5e étape : accorder le pardon.
Le médiateur a voulu une réconciliation complète. Or, il manque la réparation. Il s’est donc tourné vers l’employeur et il lui a dit :
- « Maintenant que vous avez réalisé, est-ce que vous pouvez réparer ? »
Et l’employeur a répondu :
- « Oui, je peux réparer ; je vais lui donner un CDD : le gardien de nuit part à la retraite l’année prochaine et il aura son CDI. Je peux également le loger : j’ai un studio libre et je vais lui donner une petite indemnité pour lui remettre le pied à l’étrier.»
Voilà quelqu’un qui n’a droit à rien et qui se retrouve, grâce à la générosité de l’autre, remis dans la vie.
Ils avaient atteint la parfaite réconciliation. Le salarié s’était levé pour tendre la main à son employeur. Le pardon, en étymologie, c’est aller au-delà du don. Il avait “par-donné”.
IX. – Un jeu de rôle de médiation trouvé dans les Évangiles
L’Évangile de la femme adultère nous donne un magnifique cas pratique de médiation (Jean 8, 1-11.)
“..Les spécialistes de la loi et les pharisiens amenèrent une femme surprise en train de commettre un adultère. Ils la placèrent au milieu de la foule
4 et dirent à Jésus : “Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère.
5 Moïse, dans la loi, nous a ordonné de lapider de telles femmes. Et toi, que dis-tu ?”
6 Ils disaient cela pour lui tendre un piège, afin de pouvoir l’accuser.
Mais Jésus se baissa et se mit à écrire avec le doigt sur le sol.
7 – Comme ils continuaient à l’interroger, il se redressa et leur dit : “Que celui d’entre vous qui est sans péché jette le premier la pierre contre elle.”
8 Puis il se baissa de nouveau et se remit à écrire sur le sol.
9 Quand ils entendirent cela, accusés par leur conscience, ils se retirèrent un à un, à commencer par les plus âgés et jusqu’aux derniers ; Jésus resta seul avec la femme qui était là au milieu.
10 Alors il se redressa et, ne voyant plus qu’elle, il lui dit : “Femme, où sont ceux qui t’accusaient ? Personne ne t’a donc condamnée ?”
11 Elle répondit : “Personne, Seigneur.”
Jésus lui dit : “Moi non plus, je ne te condamne pas ; va et désormais ne pèche plus.”
Les scribes et les pharisiens cherchent à coincer Jésus. En tant que médiateur, nous avons tous connu ce genre de situation déstabilisante qui peut nous faire perdre notre impartialité :
— “Et vous, monsieur le médiateur, et vous madame la médiatrice, qu’est-ce que vous auriez fait à ma place ?”
Ce qui sous-entend, vous aussi vous auriez fait la même chose que moi, n’est-ce pas. Vous êtes de mon côté.
On apprend à s’en tirer par une pirouette du genre :
- “Je comprends, mais mettez-vous aussi à la place de l’autre“.
Ou bien :
- “Je sais ce que je ferai à ma place, mais je ne suis pas à votre place”.
Et là, on tend un piège à Jésus en cherchant à l’impliquer dans la condamnation, à l’enfermer.
On lui dit :
- “Voilà, cette femme a été prise en flagrant délit d’adultère, qu’est-ce tu ferais ? La loi dit qu’il faut la lapider, qu’est-ce que tu en penses ?”
Et Jésus ne répond pas. Il écrit sur le sol, pendant toute la médiation, enfin…, pendant toute la parabole. Il ne dit rien.
Dans un premier temps, il reste accroupi, puis il se lève. Debout, c’est le maître qui parle. Le piège est déjoué : “que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre.”
Et l’évangéliste continue : ‘Ils sont tous partis en commençant par le plus âgé.’
Jésus se rassoit et continue à écrire. Une fois seul avec la femme adultère, il se relève. Vous noterez qu’à chaque fois qu’il se lève, c’est le maître qui parle. Il est debout, centré, et au lieu de lui dire “Tu vois, ils sont partis et ils ne t’ont pas condamnée, il lui fait reformuler la situation :
- “Est-ce qu’ils t’ont condamnée ?”
Mais enfin, il n’est ni sourd ni aveugle, il voit bien qu’il n’y a plus personne et que personne ne l’a condamnée.
Donc c’est elle qui reformule :
“Personne ne m’a condamnée“. C’est sa bouche qui prononce ces paroles.
Vous comprenez l’importance de cette reformulation. Après qu’elle a reformulé la situation, il a conclu “moi non plus, je ne condamne pas, je ne te juge pas.”
Elle ne s’est pas sentie jugée. C’est le premier acte du médiateur : ne pas juger. En médiation, on ne rentre pas en condamnation. “Je ne suis ni juge ni arbitre” sont les premiers mots que dit le médiateur, en se présentant.