Interview de Béatrice Blohorn-Brenneur, Juge, Béatrice Blohorn-Brenneur* bouleverse les habitudes du monde judiciaire en allant à la recherche de nouvelles voies dans la résolution des conflits.
Comment définissez-vous la médiation ?
La médiation s’est imposée à moi, car trop souvent je percevais qu’après le verdict prononcé, les personnes en litige restaient sur leur aigreur et estimaient que la décision de justice rendue en droit n’avait pas donné une réponse satisfaisante à leurs revendications. Le médiateur est ce tiers qui permet aux personnes en conflit de se parler, de s’expliquer et de s’écouter sans s’attaquer. Il s’agit d’aider les personnes à se comprendre, à mettre des mots sur des maux. Car nos préjugés fonctionnent comme un filtre et, en cas de conflit, nous ne saisissons qu’une partie de la vérité, rarement celle de l’autre. En médiation, le maître mot est : « on s’explique ».
Quels types de litiges sont concernés ?
Le champ ouvert à la médiation est immense et concerne aussi bien le milieu professionnel (travail, entreprise, commercial) que la vie privée (couple, famille, voisinage…), partout où il y a des conflits. La médiation ne se substitue pas au droit et à son application, mais elle les complète. Elle peut même inviter à se poser la question : a-t-on vraiment tout essayé avant d’aller en justice ou de se faire la guerre ? Au fond, on pourrait dire que c’est du bon sens…, mais qui disparaît dès la naissance d’une dispute ou d’un conflit.
Comme juge, vous avez beaucoup contribué à recourir à la médiation. Est-ce une activité en développement ?
Au sein de l’Union européenne, la France est la première à avoir inscrit la médiation dans la loi dès 1995. Mais son application peine un peu. En 2008, une directive européenne invite tous les États membres à la mettre en place. Cela représente un profond changement de mentalité. C’est un exercice de responsabilisation, qui permet de sortir de la victimisation et aux deux parties de trouver elles-mêmes leur accord.
Quels bénéfices offre la médiation ?
Nos contemporains découvrent que la justice est parfois inadaptée pour certains contentieux. Les jugements laissent souvent intacte la souffrance personnelle à l’origine de la demande en justice. Or, chaque cas litigieux offre de multiples combinaisons pour arranger l’un et l’autre, pour peu que l’on s’explique et que l’on se comprenne. Le seul droit ne répond que partiellement à cela. On ne se pardonne pas tant qu’on est dans la révolte. La médiation offre la possibilité d’aller vers une solution durable.
Pour finir, vous qui avez jugé de nombreux cas, quelle expérience de médiation voudriez-vous nous livrer ?
Une vieille dame a eu son sac à main arraché par un voyou. Elle se plaignait : « Maintenant, je ne dors plus, je n’ose plus sortir ! » Le jeune homme n’avait pas réalisé les conséquences de son geste. Comme il n’avait pas de travail et pas d’argent pour la dédommager, la vieille dame lui demanda une lettre d’excuse. Mais il ne savait ni lire ni écrire. Alors, lors de la médiation, elle s’est tournée vers le jeune en lui disant : « Maintenant, tu vas venir tous les jours chez moi pour apprendre à lire et à écrire ! » Et il l’a fait. Ensuite, il lui a écrit sa lettre d’excuse. Ce n’est pas beau, ça !
Propos recueillis par Philippe Mouy, dans le journal « Visages d’agglo », 2014, n° 26