I – L’avènement de la médiation en France
Certains juges n’étaient pas toujours satisfaits du service rendu par la justice. Ces juges aimaient leur métier et ils étaient en réaction devant l’injustice. Ils s’interrogeaient sur le côté répétitif de l’acte de juger et souhaitaient repenser leur rôle au sein de la Justice du XXIe siècle. Mais nous savons tous que ceux qui veulent changer le système dérangent et donc s’exposent.
Un juge ne peut à lui seul vaincre les résistances et les intérêts corporatistes, convaincre les acteurs du monde judiciaire et bousculer la hiérarchie. Pour se tourner vers la médiation, il doit trouver des appuis. Or, en 1996, malgré la loi qui fait de la France la pionnière de la législation sur la médiation en Europe, il faut bien reconnaître que ni le législateur ni les instances gouvernementales n’avaient mis en place une véritable politique de promotion de la médiation et que les responsables judiciaires se limitaient, généralement, à des discours officiels.
Quand nous avons installé, à la chambre sociale de Grenoble, à partir de 1996, une pratique de la médiation, nous n’avions pas bien compris ce que nous faisions ni évalué les résistances, l’indifférence, voire l’hostilité auxquelles nous allions nous heurter. En 1999, alors que j’avais fait connaître par une publication à la Gazette du Palais, l’expérience de Grenoble, j’ai eu la surprise de recevoir une lettre du premier président honoraire de la Cour de cassation, Pierre Drai. Ce grand magistrat, un des précurseurs de la médiation, dans les années 1970, lors des grèves qui avaient paralysé l’usine Citroën, m’a écrit qu’il nous félicitait de prendre cette voie, mais qu’il nous fallait du courage. Ce n’est que plus tard que nous avons compris ce qu’il voulait dire ! Nous n’étions pas courageux : nous étions inconscients !
Avant la loi de 1995, les décisions qui ont ordonné des médiations ont fait l’objet de recours devant la Cour de cassation. On relevait que la médiation n’était pas prévue par la loi et que le juge devait juger conformément aux règles de droit ! Sous-entendre : c’est un déni de justice ! Il a fallu que la Cour de cassation dise que le juge peut, dans le cadre de la mission de conciliation qu’il tient de l’article 21 du Code de procédure civile, déléguer à un médiateur son pouvoir de conciliation.
Heureusement, avec la loi du 6 février 1995, la médiation a fait son entrée dans le Code de procédure civile. Quand la chambre sociale de Grenoble l’a appliquée, le déni de justice ne pouvait plus être opposé, mais, en revanche, les mentalités n’étaient pas encore préparées : en majorité, les avocats ne voulaient pas d’une mesure qui risquait de faire baisser leur chiffre d’affaires, les juges y voyaient une perte de leur pouvoir et les greffiers, un surcroît de travail. Ces derniers ont même eu recours aux services du ministère de la Justice pour faire écrire que les dispositions sur la médiation, prévues au Code de procédure civile ne s’appliquaient pas aux conseils de prud’hommes !
Les pouvoirs publics n’ont pas facilité l’avènement de la médiation : ils l’ont présentée comme un moyen pour désengorger les tribunaux. Quelle erreur de communication ! La riposte a été immédiate : si les tribunaux sont engorgés, nommez plus de juges, mais ne passez pas par cette justice au rabais !
L’objet de la médiation n’est pas de vider les placards de la justice, c’est un correctif à l’inadaptation du procès dans certains types de conflits chargés d’émotions, une mesure de pacification du conflit qui permet d’aboutir à des solutions durables et de maintenir la relation. Elle a pour but une meilleure qualité de la justice et, tant mieux, si elle a pour résultat de contribuer au désengorgement des tribunaux.
Il fallait donc réagir contre la présentation de cette mesure, expliquer, informer sur la médiation, rassembler pour vaincre la solitude et provoquer une dynamique collective. Vaste programme, qu’un juge seul ne peut mener à bien. D’où l’idée de la création du Groupement européen des juges pour la médiation (GEMME).